Le cerveau et l'addiction
Introduction
Vivre c’est cultiver son appétit d’apprendre. Etre en vie, c’est travailler nos envies, d’avancer, de comprendre, de savoir, de partager. Afin de réaliser ces missions, notre cerveau nous stimule, nous rappelle avec plaisir qu’il nous faut toujours persévérer, croire que tout n’est que solutions. Certaines pathologies perturbent nos envies, soit en les faisant disparaître, comme dans la dépression nerveuse, soit en nous conduisant à perdre la maîtrise de celles-ci, en nous donnant des envies que l’on n’a pas. C’est cette deuxième affection qui nous intéressent et que l’on appelle les addictions, ou la perte de la maîtrise de l’envie. Une personne addicte, comme un alcoolique par exemple, n’a pas envie de boire, mais il ne peut pas s’empêcher de boire. Ainsi derrière l’addiction se cache trois mots clés: l’envie, le plaisir et la mémoire.
Le cerveau
Le cerveau est le fruit d’une succession d’évolutions et peut se lire en trois parties. Il y a d’abord le cerveau reptilien, notre cerveau primitif, qui gère notre vie végétative (respirer, digérer, activer le cœur, rester à température constante, etc.). Vient ensuite le cerveau limbique qui donne de la couleur à notre vie, grâce aux émotions, aux plaisirs, aux envies, à la mémoire. Puis notre cerveau cortical, le néocortex, qui lui nous permet de travailler le pourquoi et le comment de ce que l’on observe. Il nous permet également de communiquer avec nous-mêmes et avec les autres. Ensemble, ces trois parties conjuguent leurs talents pour nous donner les moyens d’avancer sur notre chemin de vie.
Le système de la récompense
Sénéque nous rappelle que » Errare humanum est perseverare diabolicum « . Ainsi pour éviter de recommencer nos erreurs, la nature nous a donné la mémoire. Et pour construire celle-ci, elle a associé aux comportements qu’il est nécessaire de mémoriser le plaisir. Ainsi, lorsqu’un comportement est « bon » pour nous, il nous faut nous en souvenir, et pour ce faire, le cerveau sécrète un neurotransmetteur qui confortera le cerveau à construire des connections neuronales qui vont asseoir notre mémoire. Ce neurotransmetteur est la dopamine. La sécrétion de la dopamine favorise une sensation de plaisir qui permet à notre mémoire de nous donner envie de répéter ce comportement.
Le plaisir : notre talon d’Achille
Une découverte intéressante, qui rend les notions de drogues douces et dures obsolètes, est que toutes les drogues agissent sur le système de la récompense, donc sur la dopamine. Ainsi, lorsque l’on consomme une drogue, elle favorise une sécrétion de dopamine largement plus importante que lors d’un plaisir « naturel ». Or comme le cerveau est programmé pour associer au plaisir un souvenir, il va être trompé par ce plaisir artificiel et va garder en mémoire l’information qu’il est nécessaire de continuer ce comportement, c’est-à-dire consommer des drogues. Ainsi, les drogues vont transformer le plaisir, serviteur de notre mémoire et des nos envies en maître de nos envies et faire de nous des esclaves dociles. Or, le cerveau n’est pas programmé pour tant de plaisir et n’apprécie pas la consommation de ces substances. Il va donc construire un mécanisme de défense : la tolérance. La tolérance implique que le cerveau va diminuer l’effet que la drogue produit sur lui pour se protéger. La conséquence est qu’il faut plus de substance pour le même effet. Alors commence un cercle infernal. D’une part, il a reçu l’information qu’il est bon de consommer, mais comme l’effet diminue, il en demande plus.


L’addiction : le côté obscur de l’apprentissage.
On sait que les drogues induisent des changements profonds dans les circuits neuronaux qui pourront avoir des conséquences à long terme sur le fonctionnement de celui-ci. La sécrétion de glutamate, un autre neurotransmetteur qui influence le système de la récompense et notre capacité à apprendre est perturbé par la prise de drogues d’abus. Ceci favorise une diminution de l’activité de nos fonctions cognitives. De plus, à long terme, la prise de substances construit une mémoire « non consciente ». Cette mémoire de l’envie de consommer reste active longtemps et influence ce que l’on appelle une envie incontrôler de consommer une substance, même longtemps après que l’on ait cessé de consommer. L’addiction perturbe donc notre mémoire, notre envie d’apprendre. Le problème est que les substances addictives activent l’apprentissage des comportements reliés aux drogues avec comme conséquence, un usage compulsif et ce malgré les conséquences négatives. Les neurones à dopamine sont activés par les récompenses naturelles, (nourriture, sexe), vitales pour la survie de l’espèce. Ainsi pour obtenir ces récompenses, il est important d’apprendre à connaître les signes annonciateurs et le comportement adéquat. In vivo, une récompense inattendue induit une augmentation de la libération de la dopamine alors qu’une récompense attendue ne l’augmente pas. La différence (prévision de l’erreur de récompense) – facilite l’apprentissage du juste comportement. Après plusieurs répétitions, la prévision de l’erreur de récompense diminue et les neurones à dopamine ne sont plus activés. L’apprentissage est terminé et le comportement mémorisé. Les drogues addictives perturbent la remise à zéro et augmentent la sécrétion de dopamine et ce à chaque consommation. Le cerveau ne pouvant plus prévoir la récompense, l’apprentissage ne se termine jamais.
Au niveau cellulaire, les drogues d’abus induisent une modification des synapses (plasticité synaptique) et ce déjà quelques heures après une seule injection de cocaïne. Cette plasticité implique une modification des signaux qui participe à la construction d’une addiction. Le risque de devenir addicte dépend aussi de la période du développement, qui est une période de risque. Dans la population pédiatrique, par exemple, une exposition à des drogues in utero ou pendant l’adolescence est associée avec une augmentation de la probabilité d’abus pendant l’âge adulte. Ainsi l’exposition aux drogues chez les patients pédiatriques devrait être particulièrement observée vu l’importante reconstruction du cerveau pendant l’adolescence.
Conclusion
L’addiction est une maladie qui agit sur un élément essentiel de la vie : l’envie. On pourrait résumer notre activité de vie de la manière suivante. La vie s’anime de manière mystérieuse par des envies, des passions qui nous guident et qui expriment des talents différents chez chacun. L’envie de faire quelque chose (un travail, un tableau, une rencontre, etc) stimule en nous un plaisir. Ce plaisir, par la sécrétion de dopamine qu’il génère, favorise la vie et la croissance de nos souvenirs qui vont se ranger dans cette bibliothèque fabuleuse qu’est notre mémoire. Ainsi, le souvenir d’une envie que l’on a eu stimule à nouveau cette envie et ainsi de suite. Nous sommes ainsi le générateur de nos envies.
Les drogues vont stimuler de manière extrêmement importante notre plaisir et donc notre dopamine. Ainsi un nouveau souvenir va remplir notre mémoire qui nous stimulera à recommencer cette substance. L’envie qui conduira à commencer à nouveau ne sera pas forcément né de notre volonté, mais d’un plaisir artificiel, qui ne restera d’ailleurs qu’un vieux souvenir que nous ne pourront pas revivre.
Références
[1] NIDA, www.drugabuse.gov
[2] PEDIATRIC RESEARCH Vol 63 N°1,2008